Mina Tsarouchi

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Vers un paradigme de transgression : désobéissance civile en milieu urbain

Direction : Xavier Bonnaud, Aristide Antonas (co-directeur)

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Notre monde urbain, ce système de cohabitation dense de gens, objets, espaces et affects puise son ordre et fonctionnement à la mise en place effective, des mécanismes de commandement-obéissance. En habitant l’urbain, on habite la loi et on a appris lui obéir. Pourtant la condition présente, décrite comme condition des crises multiples, remet en cause cette culture d’obéissance. C’est ainsi que la désobéissance civile, l’action illégale mais légitime, qui anime le refus de se soumettre à une loi jugée inique, revient comme un mot d’ordre explicitement revendiqué sur la scène politique.

L’architecture sent que des questions cruciales lui sont interpellées. A travers une lecture matérialiste, l’environnement bâti propose toujours un moyen efficace pour contextualiser le conflit politique. Encore plus la loi, fondée, sur le prédicat étrange : Ignorantia juris non excusat, qui signifie que tous sur un territoire donné, sont obligés de connaitre la loi car l’ignorance de la loi n’est pas excusée, semble utiliser l’espace physique pour rendre sa lettre explicite. Par conséquent, l’action qui appelle à une nouvelle phase législative de la ville appelle en plus à une reconfiguration de son espace bâti. Quelle peut être alors la signifiance de la désobéissance civile pour les modes d’habiter, l’urbain, et la ville ? Comment la désobéissance civile peut-elle concourir à une nouvelle perception, représentation et construction de la ville ?

Une série de conférences, colloques, numéros de magazines et de journaux explorent les réorientations possibles de l’architecture et de la conception urbaine dans les conditions émergeantes. En même temps, une nouvelle génération des architectes adapte ses intérêts et pratiques aux sujets tels que la gestion civique des espaces publics, la transition aux « communs », le logement aux conditions précaires ou l’urbanisme informel. Encore plus, l’échange avec les mouvements activistes, la philosophie DIY, les stratégies « bottom-up », l’adhocratie contre la bureaucratie, l’étude des communautés autogérées enrichissent le vocabulaire architectural modern et offrent des modèles pour repenser notre condition urbaine à l’écart des régulations normatives et des lois gouvernementales.

Ces activités manifestent l’effort de l’architecture d’interpréter les transformations de l’espace politique au sein duquel elle opère, et il est sûr qu’elles présentent une qualité créative remarquable. D’un autre point de vue pourtant, il est inévitable de ne pas se demander si au lieu de proposer la possibilité d’un changement radical, elles n’affirment que les effets les plus régressifs de la crise. Cet « activisme architectural » auquel on vient de s’engager aspire à réparer des problèmes disparates en risquant de devenir un « laissez-faire » sans intérêt. Il apparait plutôt comme une impulsion réactionnaire perplexe que comme une réponse coordonnée et déterminée à la nouvelle réalité.

Il devient cependant clair que la discipline architecturale se trouve à la recherche de nouveaux paradigmes investissant le design avec une mission politique et sociale. C’est la volonté, d’un côté de se mettre dans un débat critique avec ces rhétoriques et pratiques et de l’autre de contribuer à ces explorations qui a donné lieu à cette thèse. Tout en accueillant le fait que l’ordre présent s’avère problématique et en considérant que la transition vers un autre ne deviendra possible qu’après la transgression de ses régulations constituantes, cette thèse se met comme objet la formulation d’un paradigme architectural pour la transgression. La transgression est ici interprétée sous la lumière de la désobéissance civile, de cette action qui par définition enfreint la loi mais reste toujours pacifique et politique permettant ainsi de servir comme moyen efficace pour un changement conscient et résolu. Pour ce qui concerne l’architecture, l’insistance de la désobéissance civile au re-tracement des lignes de la loi contrairement à l’infraction simple qui les transgresse mais les préserve, nous invite à investir le projet architectural avec la mission qui lui est propre c’est-à-dire la conception, le design et la construction de formes de nos milieux bâtis.

Le mot paradigme comprend des sens multiples. Il signifie à la fois le concept, la forme, le modèle ou l’exemple. En même temps il précède les théories et les règles et reste opérationnel même en leur absence, condition imposée tant par la crise que par la désobéissance civile. C’est ainsi que dans cette recherche il joue un rôle double. Il fait d’abord son objectif et puis rédige également sa méthodologie. Grâce à la théorie des paradigmes, on peut définir comme terrain de recherche ce terrain-là dans lequel se déroule une action de désobéissance civile et articuler des espaces si hétéroclites tels que le texte écrit d’Antigone, le « mur murant Paris » au 18ème siècle, un bâtiment abandonné à la rue des Sèvres ou la place de la République vue par le mouvement de NuitDebout. Chacun parmi ces exemples, constitue une hypothèse qui ne fonctionne pas comme un principe à prouver ou à refuser, mais comme moyen qui peut offrir des éléments utiles sur la relation entre le comportement qui met en cause la loi et l’espace vécu et perçu. Ces éléments seront utilisés en tant que concepts opérationnels pour un design architectural alternatif.

L’architecture ne peut pas sauver le monde, mais grâce à sa capacité de proposer des programmes et des projets, elle peut offrir forme et espace aux comportements. En suivant alors le fil conducteur de la désobéissance civile cette recherche essaiera d’esquisser un paradigme architectural capable à accueillir la contestation des lois et politiques, dorénavant inévitable.

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