Justyna Morawska

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De la logique du Tractatus logico-philosophicus au diagramme comme outil de conception de la forme architecturale. Penser la complexité en architecture

Direction : Anolga Rodionoff (dir), Antonia Soulez (co-dir)

Interroger la notion de diagramme en explorant, d’une part, les théories philosophiques qui la pensent, en particulier Tractatus, et d’autre part, le faire de l’architecte via des architectures construites ou en projet, telles sont les perspectives au cœur de ma recherche, dans le cadre d’un doctorat. Une telle réflexion à propos du diagramme et de son lien avec la philosophie de Wittgenstein et avec le processus ou les outils conceptuels de l’architecte s’est engagée, au cours de mon DPEA Recherches en Architecture (ENSAPLV). Si le diagramme s’est progressivement affirmé comme une notion philosophique à travailler, c’est aussi à être confronté à l’architecture dont les modalités de création-production s’avèrent de plus en plus complexes. Une notion parfois à l’œuvre dans le processus de conception qu’elle soit ou non revendiquée comme telle par les architectes. Il s’agit dès lors de confronter le diagramme, d’une part, aux philosophies qui l’ont conceptualisé et, d’autre part, aux pratiques des architectes qu’ils l’utilisent pour penser le projet. Ainsi mis à l‘épreuve et des théories et des pratiques, le diagramme s’imposerait, telle est mon hypothèse, comme un outil fécond pour penser et fabriquer le projet d’architecture traversé actuellement, et de plus en plus, par de multiples rationalités.

Le diagramme comme outil conceptuel du projet d’architecture.

Si le diagramme est un concept auquel beaucoup de philosophes se sont intéressés, il présente un double intérêt dans la conduite du projet d’architecture : il est en effet à la fois un outil de conception et un outil de lecture du projet. C’est surtout son rôle dans la conception qui se trouve au cœur de ma recherche, en raison de sa capacité à répondre à un nombre toujours plus élevé d’enjeux nouveaux posés par la société contemporaine. A travers les nombreuses utilisations du diagramme par les architectes, dont certaines restent à identifier, il s’agira d’apprécier d’abord ses différents usages. Pour introduire la réflexion sur le diagramme, l’article de Giovanni Corbellini Diagrammi. Istruzioni per l’uso est particulièrement instructif, quitte à devoir le remettre en cause au cours mon analyse. A partir des trois catégories de diagramme qu’il identifie, trois principaux usages du diagramme en architecture apparaissent : synthèse, mise en relation et mise en évidence de toutes les possibilités.

Il s’agira d’étudier d’abord le diagramme pour ses vertus de synthèse, en le confrontant aux façons de faire le projet des architectes qui l’utilisent. Seront notamment analysées : l’architecture de Kazuyo Sejima, ainsi décrite par Toyo Ito comme « architecture diagramme », et en particulier son projet de la Ciudad de Flamenco à Jerez de la Frontera en Espagne.

Il s’agira ensuite d’envisager le diagramme comme mise en relation des données en le mettant à l’épreuve du travail de conception de nombreuses agences d’architecture, telles OMA, MVRDV ou UNStudio.

Enfin, un autre usage du diagramme consiste en la mise en évidence de toutes les possibilités du projet architectural. Seront ici étudiées notamment les manières de faire le projet de l’architecte Peter Eisenman. Inspiré par la philosophie de Jacques Derrida, Eisenman s’intéresse à la relation entre la présence et le mémoire. Soulignant l’importance des traces dans le procédé de création, des traces qui expriment des potentialités qui auraient pu émerger et devenir réalité, la pensée du projet par Eisenman se situe dans le sillage du diagramme envisagé comme l’ensemble des différentes potentialités d’une architecture en projet.

Cette capacité du diagramme à l’œuvre dans l’approche d’Eisenman semble particulièrement intéressante notamment dans le contexte de la modélisation paramétrique et de la conception digitalisée, capables de traiter l’ensemble ou une grande quantité de données dans leur connectivité, et donc de les gérer dans leur totalité. La réflexion sur cette manière d’approcher la complexité mérite, à mon sens, d’être poursuivie.

La pensée du diagramme dans la philosophie analytique.

S’il s’agit d’étudier la manière dont les architectes utilisent le diagramme comme outil de conception, mettre à l’épreuve cette notion en la confrontant à des théories philosophique s’impose comme première étape. Saisir la pensée diagrammatique telle qu’elle a été et est conceptualisée par certains philosophes pour ensuite la faire avec la pratique architecturale, telle est la perspective de recherche.

Afin d’explorer des concepts - tels que la synthèse, la relation entre les choses, l’identification de toutes les possibilités, la gestion de la complexité - évoqués par avant, je me suis intéressée à la philosophie analytique, supposant que l’étude de la logique pourrait apporter des éclaircissements pour la compréhension de ces notions. C’est avec cet objectif que j’ai entrepris la lecture du Tractatus logico-philosophicus de Ludwig Wittgenstein. Sa lecture s’est révélée stimulante pour le développement d’une réflexion sur la relation entre la pensée philosophique et la pratique architecturale, en raison de la double perspective ou de la double approche du diagramme qu’offre cet ouvrage.

La première perspective a comme origine la forme logique de cet écrit. Cette forme, préétablie par Wittgenstein à travers un système de numérotation de ses propos, nécessite une visualisation quasi spatiale pour être comprise. Ici, les moyens non littéraires se révèlent indispensables pour rendre claire une pensée. Il s’agit de découvrir, ou plutôt de rendre visible, le schéma de lecture qui existe déjà dans le texte, dont l’écriture linéaire ne permet pas une vision synoptique.

La deuxième perspective ouverte par le Tractatus se rapporte aux questions relatives à la signification de ses concepts logiques. La nature même de la logique qui transparaît dans les pages du Tractatus est un point de départ pour une réflexion sur le diagramme et sur son utilité dans la conception architecturale. L’œuvre de Wittgenstein interroge les relations entre les choses, la définition de toutes les possibilités, et cherche une vision synoptique du monde et du langage. La lecture des propositions du Tractatus conduit ainsi à examiner les possibles configurations des éléments et leurs relations d’interdépendance, et confirme la pertinence de la notion du diagramme à partir de la philosophie de Wittgenstein.

Wittgenstein n’utilise pas le terme du diagramme et le définit encore moins. Cependant les concepts définis dans le Tractatus y conduisent et peuvent ainsi constituer une base pour amorcer un dialogue entre pensée logique et pratique architecturale. Il s’agit ici d’analyser les propositions wittgensteiniennes avec pour objectif de mieux cerner et comprendre la définition et la nature du diagramme auxquelles elles invitent ou tout au moins suggèrent. Ma réflexion sur le concept du diagramme s’adossera notamment à trois concepts présents dans le Tractatus : la tautologie, la recherche de la clarté, et la tension entre le dire et le montrer. Ces trois concepts constituent une base à partir de laquelle réfléchir à la nature du diagramme et à ses vertus conceptuelles et opérationnelles dans la pratique architecturale.

Workshops

FORuMIDABLE. Écritures de création / Pratiques de recherche, 13-14 avril 2014. Conférence / workshop organisée pas l’ENSCI-Les Ateliers, avec le soutien du Labex Création Arts Patrimoine, et en collaboration avec le GERPHAU, l’École Supérieure d’Art d’Annecy et l’École Supérieure des Beaux-arts TALM-Toulouse. Animation du workshop.